Merci Jean
Jean,
Toi qui étais toujours pressé de partir, ce coup-là tu aurais pu attendre un peu! Enfin, là-haut tu dois déjà être en train d'organiser une manif si les conditions ne sont pas parfaites ou s'il y a quelqu'un qui est laissé de côté! Et si tout va bien, on espère que les pistes de ski de fond sont aussi bien damées que celles des Confins ou que, dans les vertes prairies où tu te trouves la Conf' est aux commandes!
Ancien paysan travailleur, tu pars comme Bernard Lambert, sur la route, brutalement. Et nous ne pouvons commencer cet hommage sans une pensée pour les 2 personnes blessées dans ce terrible accident, à qui nous souhaitons un rétablissement le plus rapide et le plus complet possible.
Jean,
on te repérait de loin avec ta tignasse blanche, ta polaire orange et ton drapeau Conf' ! Tu étais toujours présent pour toutes les luttes, toutes les résistances pour le partage des biens communs.
Tu étais paysan, éleveur de chèvre dont tu transformais le lait en fromages. Avec tes associé·es Pascale et Jacques tu as construit une belle ferme caprine, à Thônes et dans votre alpage de Manigod.
Cette ferme tu as su la transmettre à ta retraite, malgré les difficultés de l'exercice, pour un prix modeste afin d'encourager les repreneurs. Tu as défendu avec passion le pastoralisme, le chevrotin et les fromages au lait cru, auprès des classes qui venaient visiter votre ferme, de vos clients ou lors de démonstrations de fabrication de fromage à diverses occasions.
Inlassablement tu enfilais ton tablier des Fromages de Savoie et racontait, le caillé, la guitare du fromager et tous ces gestes qui font le quotidien des paysans et paysannes.
Bien conscient que le métier de paysan est un métier à défendre, toute ta vie tu t'es engagé pour la défense de l'agriculture paysanne et de ses travailleurs.
Militant de la 1ere heure, tu fais partie d'une belle équipe de paysans et paysannes qui a connu toutes les étapes qui ont marqué ton courant politique: Engagé des Paysans Travailleurs, jusqu'à la Confédération Paysanne. C'est d'ailleurs toi qui à une AG à Cruseillles as démontré que Solidarité Paysanne était du passé et que l'avenir était la Conf'.
Engagé et réfléchis, fédérateur et orateur, rigoureux, tu es naturellement devenu un des leaders de la Conf' pour laquelle tu fus pendant de nombreuses années porte-parole départemental puis régional. A ce niveau bien lointain pour certains, tu fis parti d'une équipe qui aura su faire avancer une structure combative. Nous sommes nombreux à penser que tu aurais pu être un excellent porte-parole national.
Localement, tu nous a représenté 20 ans durant en Commission départementale d'orientation agricole, et dans de nombreuses réunions institutionnelles. De plus, chaque mois tu participais à la rédaction de nos journaux syndicaux, Paysans des Savoie devenu depuis l'AURA paysanne.
Au fil des années tu as participé et porté la voix d'un nombre incalculables de combats. Ainsi tu as été fer de lance dans le collectif contre les JO d'Annecy, dans celui contre les OGM, celui contre l'aéroport de NDDL, pour organiser le contre-sommet des ministres de l'agriculture à Annecy où tu nous as permis de voir les choses en grand ! Mais tu étais aussi là pour organiser et porter les Forums sociaux départementaux, le contre G8 d'Evian en 2003, etc. etc. etc.
Tu faisais le lien avec la "société civile" en représentant très bien la conf et le monde agricole lors d'innombrables débats. Tu étais ce paysan, ancré dans la vallée mais ouvert sur le monde, capable de construire des passerelles entre le monde paysan et l'ensemble des citoyens et institutions.
Tu avais été en Palestine et tu nous interpellais encore récemment sur la paix à Gaza! D'ailleurs cette année tu as été de toutes les mobilisations marquantes: l'opposition à la méga bassine de La Clusaz, le printemps maraichin à Sainte Soline, les marches pour la défense de notre système de retraites, contre le Ly on Turin ou encore en t'investissant dans le groupe local pour la sécurité sociale de l'alimentation…
Et comme la Conf' ne te suffisait pas au moment de ta retraite tu t'es investi, à Solidarité Paysans et beaucoup au Comite d'action juridique, convaincu que le droit permet la défense des paysans. Avec toute ta connaissance du monde paysan, de son fonctionnement, de ses faiblesses et ses atouts, avec ton sens aigu de l'analyse, en t'appuyant sur le droit, tu apportais conseil aux demandeurs, et n'hésitais pas à pratiquer une médiation quand elle était possible.
On peut dire sans mentir que tu étais de tous les combats pour une société plus juste et pour une agriculture qui respecte les Hommes et la nature !!
Et il faut bien dire que tu nous impressionnais comme militant hyperactif et surtout hypercompétent!! On se sentait parfois légers à côté de ton expérience venue de 50 ans de militantisme assidu, depuis tes premiers engagements dans des groupes révolutionnaires au cours des années 70.
C'est presque toujours vers toi que l'on se tournait dans les situations délicates, pour répondre aux interviews les plus périlleuses, comme dernièrement avec la brucellose. Tu savais faire face avec brio, comprenais les enjeux et les synthétisais avec une efficacité qui nous impressionnait.
Mais malgré cette expérience jamais tu ne te moquais des idées parfois naïves venues des jeunes faisant leurs premiers pas dans le syndicalisme. Tu écoutais, nous recadrait gentiment et nous faisait partager ta longue expérience dans la bonne humeur, sans jamais oublier la pointe d'humour qui rendait ta compagnie si agréable !
Dans l'émotion des innombrables souvenirs, nous retenons de toi cette exigence dans la construction et dans l'expression de nos combats. Pas de place aux jugements infondés ou aux préjugés stériles. Tu nous poussais par ta vigilance et ta bienveillance à toujours étoffer nos arguments, à comprendre et mettre en doute les évidences. Cette rigueur et cette énergie nous ont à tous permis d'être lucides et efficaces.
Avec ton expérience, sans cesser d'objectiver ni de trouver de nouveaux angles d'attaques, tu avais le don de nous remobiliser, même sur les thématiques les plus éculées.
Nous retenons aussi ta liberté. Conscient mais critique, sensible et rieur, raisonné mais indompté, tu pouvais faire penser à cette parole de Renaud : "L'vieil anar, y s'gène pas".
Cette insoumission qui surgissait de toi sans forcément prévenir est à notre sens un des plus beau témoignage de la spontanéité et de la sincérité qu'un être humain est à même de conserver tout au long de sa vie. Un trésor brut difficile à préserver dans nos vies dé-matérialisées et si démocratiquement malmenées ...
Pour tout ça, pour toutes ces luttes menées, pour tout ce qu'elles nous ont appris, pour tout ce que tu as apporté au syndicat et à nous tes compagnons de lutte, nous te disons un grand MERCI
Merci à toi qui a mis tant d'énergie à rendre meilleur ce monde un peu trop sombre. Et même si tu laisses un grand vide, nous continuerons de prendre soin des graines de résistances que tu as inlassablement semées.